Blog 6 : Regard sur une pratique de massage.

Regard sur une pratique de massage.

Vers un Toucher sensible

«Réduire le geste à l’effet» (Constantin BRANCUSI)

un regard sur sa pratique: une nécessité.

Pour une partie des personnes me faisant appel je suis «masseur», pour d’autres je suis «énergéticien», enfin mes gestes évoquent régulièrement l’ostéopathie ou la chiropraxie. L’écoute dont je fais preuve avant ou après amène souvent la remarque: «vous n’êtes pas psy mais tout de même …». Cela m’indique clairement la nécessité à dire le cadre de mon action et ce à quoi je peux répondre.

Leur demande sous tend un désir, un besoin de changement d’état qu’il soit physique ou psychique. La réponse appartient un large éventail de pratique allant du massage de bien être au soin psycho-corporel ou énergétique. Le type et la graduation du changement attendu sont rarement précisés, généralement assez vague: détente, prendre soin de moi, faire une pause …etc. La rupture avec l’activité quotidienne combinée à l’accès à son intériorité et aux sensations entraînent la personne massée vers un état propice au changement. Celui-ci sera conditionné à l’état de réceptivité et de présence du praticien. Je dois être dans une disposition physique qui favorise la réceptivité, le ressenti dans le toucher et l’intuition, s’il y a une part technique à cela il y a également une part «état d’esprit» à cultiver afin d’être présent, ici et maintenant!

4 piliers

Ma réceptivité et ma présence sont liées à ce que je nomme mes 4 piliers, c’est à dire mon état corporel, ma respiration, mon état d’esprit et mon «toucher».

L’état corporel est construit sur l’alignement de la colonne vertébrale, sans contraction ni raideur. Il dépend des appuis au sol et de la stabilité physique. Cette attention à la structure corporelle permet à mes articulations de trouver les positions justes du point de vue anatomique et aux muscles de se relâcher. L’absence de gênes tant articulaires que musculaires offre une meilleure transmission et adaptation des pressions. J’applique là les principes: d’enracinement connus en art martial interne, d’acuité kinesthésique cultivée par la pratique d’exercice énergétique et d’entraînement à la pleine présence.

La respiration influe sur le geste. Veiller à la fluidité et la tranquillité du flux respiratoire est essentiel dans la communication et le contact avec le demandeur. Son rythme, l’intention mise dans sa circulation, en font un élément primordial et constitutif du Toucher.

L’état d’esprit colore la relation massé/masseur. Il pose la question du vouloir ou de l’accueil. Vouloir, c’est avoir un projet pour l’autre, un projet de transformation, de modification selon un schéma construit et extérieur à la personne recevant le massage. J’ai choisi d’être sans attente, à l’accueil de ce qui arrive, que la demande soit verbalisée au non. Être un contenant, une toile de fond où s’imprime le dessin (le dessein) fait par l’autre. L’intention est d’être un accompagnant et un témoin du chemin que parcours la personne.

Le toucher les écrits d’A. MONTAGU, T.FIELDS et consorts témoignent de son importance dans le développement de l’individu et des relations interpersonnelles. Les récents apports des neurosciences viennent renforcer ces travaux. C’est le seul de nos cinq sens à être obligatoirement interactif. En effet, si je pose la main sur le bras d’une personne, celle-ci me touche également. Dans l’activité de massage il doit se conformer tant à la demande de la personne massée qu’à l’éthique du praticien. Il correspond à des techniques répertoriées selon les styles de massage. Il est également un vecteur de communication.

Réceptivité et présence chez la personne massée

Quelles indications me donne-t-elle pour apprécier un changement d’état.

La respiration est un premier domaine d’attention. En effet son rythme, sa profondeur mais aussi ses blocages sont les indicateurs du niveau de «laisser aller» dans le massage. Les manifestations respiratoires sont le reflet de sa progression vers un changement et de la confiance qu’elle m’accorde.

L’état corporel est un deuxième domaine d’attention. La qualité du relâchement, évaluable à la tonicité des membres, par exemple, indique la conscience et/ou les tensions présentent. Les mimiques du visage indiquent la poursuite ou non des cogitations. Les modifications intervenues depuis le début du massage au niveau du visage sont indicatrices du chemin parcouru vers le changement. Enfin les mouvements spontanés qui apparaissent aussi imperceptibles qu’ils soient, indiquent la profondeur du travail en cours. Toutes ces manifestations peuvent être un support d’interaction avec la personne au cours du massage.

Le toucher: de l’interaction entre la surface touchée et celle qui touche naît une communication. Le corps de la personne massée transmet beaucoup d’indications relâchement/contraction, froid/chaud, sensibilité, abandon/acceptation, couleur de la peau …etc. Ces informations orientent vers son besoin. Elles m’autorisent ou m’interdisent de poursuivre un geste. Elles m’indiquent les modalités de pression, de vitesse …

Un espace-temps particulier

Au cours d’un massage, à un instant «T» j’ai la perception d’une ambiance différente. Elle témoigne de l’état de flow1. La respiration, le toucher et l’état corporel de l’un et de l’autre, renseignent sur l’intensité du lien qui s’instaure. Nous somme à cet instant dans une rencontre et une qualité de communication qui créent un espace-temps particulier.

Ces conditions vont conduire les deux acteurs vers un changement qui, bien que de nature différente pour chacun, s’inscrit dans une même unité de mouvement tout en préservant la singularité de chacun. Le vecteur de ce saut dans «autre chose», que l’on peut au choix nommer psycho-corporel, énergétique, autoguérison, est le toucher sensible.

Nous somme à un moment où l’intime est convoqué et où l’alchimie d’une transformation peut se mettre en œuvre. Nous changeons de registre, d’objet de massage la personne devient sujet d’un dispositif thérapeutique d’autoguérison dont elle a le pouvoir de devenir partenaire ou non.

La personne massée rencontre dans cet espace-temps, sa part intime, le socle de sa construction d’Être. Là où résident, pour nous tous, nos ressources et nos failles. Dans ce moment particulier «les cartes peuvent se rebattre». La clarification, entre être profond et construction sociale, initie les changements nécessaires à «être soi» et au mieux vivre.

Dans cet espace-temps, je deviens l’accompagnant. C’est le lieu où l’intuition s’exprime et dans lequel mes gestes découlent de mes ressentis et ne s’inscrivent pas dans un protocole modélisé de massage.

Cela implique que je sois disponible physiquement et mentalement. Il faut donc faire le vide afin d’être pleinement présent à ce qui ce qui naît et vis sur le tatami. Le vide physique c’est le relâchement dans la conscience du corps la justesse du positionnement pour soi et par rapport à l’autre. Le vide mental c’est quitté l’application dans la technique du geste appris et s’échapper du jugement pour aller dans un dialogue construit avec l’autre. Il convient pour moi de sortir d’un système figé pour m’accorder avec mon ressenti tout en laissant l’intuition choisir les techniques dans «la boite à outils».

L’inventaire des 4 piliers me permet de passer de l’être extérieur à l’être intérieur et d’acquérir ainsi la disponibilité décrite ci-dessus.

Vers un toucher sensible, étayer sa pratique

Le toucher est porteur d’intention. Dans l’activité de massage il est selon les circonstances, technique, peu communicant, peu relationnel et inversement. La conscience de ce que l’on éprouve et perçoit d’une part, la disponibilité aux sensations d’autre part caractérisent le toucher sensible. L’expérience vécue et donnée à vivre, l’observation et la recherche complètent le savoir qui seul ne permet pas de saisir cette dimension de présence et de conscience accrue.

Mon évolution, entre 2009 mes premiers pas dans le monde du massage et aujourd’hui, est l’illustration de cette alliance entre des expériences corporelles individuelles ou collectives et les approches théoriques qui sont venues les renforcer. Je reste convaincu que pour accompagner il ne suffit pas de connaître la carte mais qu’il faut également avoir arpenté les creux et les bosses de nos chemins intimes.

Ainsi, dans mon exercice du massage et de l’accompagnement sont régulièrement convoqués des gestes, des sensations, des images et des mots venant d’autres univers.

  • Deux maximes japonaises illustrent pour moi l’instant «T» pointé précédemment. La première, sans ordre de préférence, «I chi go I chi e» souvent traduite par: «une seule fois cette rencontre» ou «une vie, une rencontre» désigne l’intensité du moment dans la pleine présence à ce qui se vit. Que la rencontre ait lieu une ou plusieurs fois avec une même personne c’est toujours la première fois.
    La seconde «I shin den shin» traduite par «d’âme à âme», désigne la congruence entre individus dans une transmission ou un échange.

  • L’expression «wu wei» tirée des textes taoïstes que nous trouvons souvent traduite par «non-agir». Je l’interprète dans la pratique, comme «s’abstenir d’agir». C’est à dire s’abstenir d’intervenir dans un mouvement, aussi infime soit-il, quand il se produit. L’autre, a les moyens de l’auto-guérison il s’agit simplement de lui ouvrir les portes.

  • Le Tai Qi Quan plus particulièrement la transmission de la forme du serpent de la famille Yang m’a permis de dépasser les approches intellectuelles et conceptuelles, pour en trouver une connaissance corporelle. Les perceptions et les sensations physiques vécues au travers de cette transmission ont conforté mes recherches de «balisage» dans le soin.

  • La réalisation régulière d’étirements des méridiens énergétiques élaborés par S. Mazunaga et enseignés au sein de l’École du Toucher Psycho-corporel, fut déterminant pour ma liberté de travail au sol sur un tatami tout en complétant ma forme physique.

  • L’une et l’autre de ces pratiques m’ont conduit vers l’exploration du Wutao et du Yin Yoga.

  • Ces pratiques se sont ancrées sur un fond ancien de sensations vécues dans les sports d’eau vive, dans la vitesse en moto et dans la recherche de la fluidité du mouvements en danse ou dans les sports de combat.

  • La méditation Vipassana basée sur l’observation de la respiration, des sensations, des émotions et des pensées complète ces pratiques.

  • La poésie grâce à elle je sors des sentier battus et des pratiques uniquement techniciennes qui éloignent de l’accueil du «quelque-chose» et nous pressent de classer, de mettre en ordre au risque de passer à coté de l’essentiel. Elle apporte un autre regard sur ce qui semble le réel.
  • La lecture de récits, de romans ou d’ouvrages techniques qui aborde le thème du «toucher»

Toucher sensible et relation?

Comment nommer la personne que je reçois? Comment caractériser la relation entre nous ?

J’ai toujours écarté le mot «patient» car il caractérise les milieux médicaux et paramédicaux dont je ne fais pas parti. J’utilise souvent le mot «client» hors celui-ci fait clairement référence au domaine commercial dans lequel je ne me retrouve pas complètement.

Alors quel mot? Plusieurs peuvent correspondre au moins en partie: client, partenaire, consultant, massé, interlocuteur, associé. Parmi cette courte liste et bien qu’insatisfaisant dans la totalité de leur sens je choisis «client» et «partenaire»

«Client» tel est le statut de la personne qui prends rendez-vous et achète une prestation de massage. Cet achat définit la relation commerciale. Cependant, le déroulement de cette prestation va amener peu ou prou une variation du statut. En effet en référence à l’espace-temps particulier décrit précédemment ce client devient acteur donc «partenaire» d’une situation de transformation.

La difficulté à nommer provient de cette variation de statut mais également de l’orientation choisie pour ma pratique. La motivation première est la proposition d’un acte de découverte de soi et de sensibilisation à une vision holistique de l’individu. La vente d’une prestation intervient pour assurer les charges inhérentes à l’activité (locaux, matériel, formation …)

Si la circulation d’argent est nécessaire, le chiffre d’affaire et le bénéfice ne sont pas prioritaire dans la démarche.

Des ressources (parmi d’autres):

Revue québécoise de psychologie, vol. 18, n° 2, 1997

Le bonheur, l’expérience optimale et les valeurs spirituelles : une étude empirique auprès d’adolescents. Mihaly CSIKSZENTMIHALYI / John D. PATTON Université de Chicago Université de Chicago (Traduit et adapté de l’anglais par Mario LUCAS)

«FAIRE PARLER LE CORPS» J-L. ABRASSART in Revue -LE MASSAGER-Fédération Québecoise des Massothérapeutes

«Massage- corps/esprit» / «La relation d’aide par le toucher» J-L. ABRASSART www.jeanlouis-abrassart.fr

«Les cicatrices émotionnelles» C-W.FORD

«Un toucher psycho-relationnel» / «Le toucher, un art de la relation» C.HIERONIMUS

«Les bienfaits du toucher» T.FIELDS

«La Peau et le Toucher, un premier langage» A.MONTAGU

«Tout savoir sur la respiration» D.KIEFFER

«La respiration essentielle» THICH NHAT HANH

«Le tai chi chuan du Style du Serpent» B.BOYD www.ipfamilytaichi.org

«Zen Shiatsu» S.MASUNAGA

«Foutez-vous la paix et commencez de vivre » F.MIDAL

«Pourquoi la poésie» F.MIDAL

«52 poèmes d’occident pour apprendre à s’émerveiller» F.MIDAL

«Cette émotion appelée poésie, et autres essais»P.REVERDY

«Erickson, Lao Tseu et nous et nous et nous …» Dr M.VINOGRADOFF

«Le Taoïsme» M.HALEVY

«Chevaucher le vent écrit sur la méditation et le silence» M. de SMEDT

«Wutao, l’écologie corporelle» P.CHAROY-I.RISSELARD

«Les mains du miracle» J.KESSEL

«Un territoire fragile» E.FOTTORINO

Vidéo:

Destins croisés S1E5 Philippe SIECA et François CASTELL / INREES TV

Présentation du livre «Le thérapeute et le philosophe» par l’auteur D.GERBINET interview de Jean François MARMION

Participation:

Atelier «Faire un saut» 10ème forum de la CFHTB mai 2017 Clermont-Ferrand animé par G.SALEM et F.MIDAL

1Le terme « flow », signifie « suivre le courant ». Il est choisi pour décrire les moments de qualité appelés «expériences optimales» dans une activité.